Pourquoy le temple d'Apollon fut bati dans le chateau de Polignac.
Chap. IV
Il me souviens d'avoir ci-devant promis, lorsque je refutois certain autheur (qui acquire [sic] de quelques philosophes du tems passé veut faire acroire le blanc etre noir, je veux dire qu'il n'y ait eu jamais temple ni idole d'Apollon dans le chateau de Polignac), de faire voir à l'oeil et de toucher au doigt le contraire et ce par la seule et naisve description de ce temple et idole restant encore aujourd'huy dans ce chateau, il est temps que je m'acquite de ma promesse et fasse voir à un chacun que ce ne sont pas vaines fictions, fantaisies ou songes faits à plaisir, comme dit cet autheur, mais la vérité meme que Apollon eut jadis son siège et son oracle dans le chateau de Polignac, comme le trouvant le plus propre et convenable à ses dessins.
Car Satan, cet esprit malin tout bouffi d'orgueil et d'arrogance, perpétuel abuseur des hommes, brulant d'envie de réparer la ruine des autels de son ambition et voulant, puisqu'il ne s'était pu rendre égal à Dieu dans le ciel, se faire estimer et adorer tel sur la terre, auroit pour à mieux parvenir par une maligne et affectée émulation du vrai Dieu (ainsi qu'il est apellé "singe de Dieu" par les Sts Pères) recherché imité et suivi, de plus près qu'il auroit peu, les plus belles actions par lesquelles Dieu éternel s'étoit fait reconnoitre et adorer aux mortels et principalement à ses enfans : le peuple judaïque.
Sachant donc bien cet esprit de superbe que la plus grande marque de la divinité étoit de donner des oracles, prédire les choses avenir et donner des avis salutaires au genre humain et que le Dieu vivant s'étoit servi de ce moien à l'endroit de son peuple d'Israel, luy envoyant ses prophètes, il se seroit avisé d'imprimer en la fantaisie des hommes par luy abusés, de se former la figure d'un Dieu devinant et consultant qu'il fit appel-ler Apollon.
Et de meme, aiant pris garde que Dieu auroit donné les oracles de sa loy avec plusieurs prodiges sur un lieu haut et élevé, la montagne de Sinaï, et que de plus il avoit fait batir son temple dans Hiérusalem en un lieu aussi élevé et spacieux : la montagne de Sion, ainsi cet émulateur voiant toutes ces choses pleines de majesté et fort propres pour mettre en lustre son nom entre les mortels, jetta les yeux de son esprit hautain sur tout le circuit de la terre et choisit les plus hauts lieux, plus forts et spacieux et les plus voians qu'il peut des terres de sa domination pour y loger et faire adorer son Dieu devinant et consultant d'Apollon.
Ainsi tout premier, au beau millieu de la Grèce choisit-il le mont de Parnasse, près lequel est la cité de Delphes, dans un beau rocher il établit ce tant fameux et renommé oracle du temple delphique d'Apollon qui dura, comme dit Plutarque en la Pythie, plus de trois mille ans et presque à l'avènement du Sauveur du monde qui fit cesser tous les faux oracles.
Ainsi choisit-il en Italie la montagne de Soracte qu'on apelle aujourd'huy la montagne de St Silvestre en la Toscane, suivant ce qu'en dit Virgile en l'onziesme de son Enéïde:
O souverain des Dieux Apollon Gardien
du Saint mont de Soracte et qui d'humble maintien
Nous sommes les premiers que dressons nos demendes,
A qui tant de hauts pins nous bruslons en offrandes.
Hérodote, en Saglio, raporte que les Argonautes dressèrent un autel à Apollon sur le rivage de la mer, et n'aiant là aucune montagne, l'élevèrent fort haut.
Homère en son Iliade fait mention de Crise, Ténède et Cille, villes qui adoroient Apollon en toute dévotion de la ville d'Athènes l'avoit pour son patron et protecteur. A Thèbes avoit un autre temple d'Apollon surnommé Ismerien.
La ville de Rhodez avoit de meme pris pour son Dieu gardien et tutélaire Apollon ,ou le soleil, comme nous l'aprenons de Petronius arbitter : Est tutela Rhodos beata solis
Et ainsi plusieurs autres lieux que je serois trop long à dénombrer avoient été dédiés à Apollon.
Mais cet esprit ambitieux tout outré, désirant aussi bien établir la plus grande marque de sa fausse divinité les oracles d'Apollon ès parties de la Gaule qu'il avoit fait ès autres parties de la terre, il ne seut trouver un lieu plus beau, mieux compassé et plus admirable et relevé de tous les cotés et plus spacieux pour ce sujet, que la maison et chateau de Polignac et logeant dans iceluy le Dieu devinant et consultant, il voulut encore tout d'un coup doublement imiter le vrai Dieu.
Car ainsi qu'il avoit veu que Dieu, après avoir fait batir ce beau temple de Hierusalem, avoit commis la garde et intendance d'iceluy et ses saints oracles, sacrifices et ministères, à une seule et particulière lignée : la tribut de Lévi, l'une des plus noble des douze tribus d'Israel.
De meme ce singe pensa qu'il ne pourroit avec plus de lustre, plus d'éclat, de grandeur ni avec plus de seureté commettre la garde et intendance de ses oracles d'Apollon dans les Gaules qu'en établissant et dressant son idole dans la maison et chateau de Polignac dont les seigneurs étant des plus nobles races de la noblesse gauloise en prendroient d'eux meme la garde et conservation.
Ainsi donc et pour ces raisons, fut bati et élevé dans le chateau de Polignac ce temple et idole d'Apollon tel que nous le voions encore à présent, comprenant tout l'enclos de ce vieux, grand et vaste corps de logis, depuis la grande salle voutée et grande galerie jusques à la chambre qui retient encore aujourd'huy le nom d'Apollon, l'architecture de la grande entrée de ce temple du côté du soleil couchant marque bien son antiquité, ainsi que fait tout le surplus du batiment que l'on a divisé par dedans, sans néantmoins grand changement, en petites chambres pour servir de logement, l'une d'icelles retenant encore comme nous venons de le dire le nom de la chambre d'Apollon, parceque dans icelle reposoit l'idole de ce Dieu supposé, ainsi que nous le verrons aux chapitres suivants.